Je n'ai pas vu passer ces derniers mois, cela a filé si vite que j'en ai perdu le déroulement. Lentement mais sûrement le paysage change, les arbres commencent à se pomponner de bourgeons rouges, certains sont déjà sortis en feux d'artifice verts et jaunes. Dans les jardins, les belles glycines tombent en grappes mauves et mettent en valeur leurs enroulements. Des tulipes, jacynthes et jonquilles parsèment de leurs éclats colorés les herbes fraîches secouées par le vent.

J'ai vu mes bonzaïs déployer leurs feuilles, et je suis toujours aussi étonnée que de minuscules bourgeons contiennent autant de promesses. J'ai rempoté et planté des ciboulettes, herbes aromatiques et fleurs au balcon, il ne reste plus qu'à voir d'heure en heure pousser ces plantes. Peut-être sommes-nous aussi à l'image de la nature. Malgré le retour éternel du printemps et des saisons, nous avons l'impression que les choses ne changent pas assez. 

Lentement mais sûrement, entre impatience et attention, je note dans mon agenda chaque découverte, chaque événement, pour me rappeler que les choses avancent. Je poursuis assidûment la pratique du Tai Chi Chuan, et la professeure nous rappelle que l'homme fait partie de l'univers, il suit aussi la progression des saisons. Au printemps, le foie est un peu perturbé, alors nous essayons, par la pratique, de le calmer un peu. Le printemps est lié à l'élément bois, c'est le début, la croissance lente des choses. Cette pratique régulière m'aide à garder l'équilibre, et à partager en groupe. Il faut continuer à travailler ses gestes, rester en harmonie.

D'autres pratiques de groupe me sortent aussi de ma solitude habituelle. Il est temps de se rassembler pour des causes qui en valent la peine. Chaque mois nous mangeons entre amis, et chacun fait un petit exposé sur un sujet qui lui tient à coeur. Le but est de partager nos expériences et surtout nos solutions. Par exemple, quelqu'un a évoqué les déchets et le compostage en jardin ou en appartement. Moi j'ai parlé des objets jetables, que l'on peut remplacer par des objets plus durables, pour éviter de gaspiller. Dans ce monde que l'on nous présente sans espoir et dans sa course folle, il faut tenir bon et continuer à éclore, s'épanouir comme l'on peut. C'est comme si ces dernières années d'expériences devaient être mises à jour et partagées en groupe. Le soutien entre personnes d'horizons différents doit être solide et doit donner un peu à chacun l'espoir que nous pouvons encore garder dans notre coeur un peu de poésie et de sensibilité. Le travail se fait rare, je n'ai pas pu beaucoup travailler ces dernières années, alors le temps passé chez moi me donne le temps de découvrir des choses, réfléchir, vivre sobrement.

En tous cas, ce qui ne change pas pour le moment, c'est que la chatte de la voisine vient souvent me voir, ronronne fort et se sent moins seule la journée. Je la retrouve roulée en boule sur mon lit, ou parfois sur mes genoux, à me tenir chaud et compagnie. Chacun a besoin de la compagnie de l'autre...

Le soir, quand j'ai le temps, je sème des points de broderie en forme de grains de riz, par pointillés, sur une housse de coussin indigo. Je m'essaye à la technique de broderie japonaise Sashiko. Là aussi, un quart d'heure égrené ici et là, je vois le tissu prendre forme de nouveaux motifs.

J'ai commencé aussi à faire des bracelets Shamballa, sur la base de macramé. Je fais des noeuds, des entrelacements... Tout se déroule et s'entrelace au printemps...